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Channel: laïcité ouverte – Renart Léveillé
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Panser la laïcité

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Force est d’admettre que l’on s’enlise dans le débat sur la laïcité. Parce que deux points de vue, omniprésents, qui n’ont visiblement pas comme premiers soucis la laïcité, se disputent la place centrale. En fait, ils se servent de la laïcité pour asseoir leur légitimité propre, qu’elle provienne de la défense de la majorité ou de minorités. Et pour y arriver, consciemment ou inconsciemment, ils font une distinction entre ce qui relève du domaine public et ce qui relève du domaine privé. Rejetant d’autant l’application de la logique laïque dans le domaine où se trouve ce qu’ils défendent.

Ainsi, pour ceux qui défendent le crucifix à l’Assemblée nationale, la laïcité ne doit pas s’appliquer au domaine public, dont fait partie le patrimoine, l’histoire, les institutions, etc., puisque tout cela appartiendrait de droit à la majorité de souches canadienne-française. Et de l’autre côté, pour ceux qui défendent le libre port des signes religieux pour les représentants de l’État, la laïcité ne doit pas s’appliquer au domaine privé, dont fait partie le corps, la conscience, les convictions personnelles, etc., puisque de le contraindre contreviendrait aux droits et libertés fondamentales.

Privé, public, civique

Pourtant, la laïcité n’est pas un concept qui s’articule autour de ce qui est public ou de ce qui est privé. Comme elle n’a pas pour finalité d’être un cadre pour les droits collectifs ni pour les libertés individuelles. En fait, elle se place en amont. Donc, pour bien la comprendre, il faut évacuer toutes ces questions et se concentrer plutôt sur son impératif clair de séparation entre la religion et l’État. Et cela, autant pour ses acteurs que pour ses institutions, en ce qui a trait à la symbolique, à leurs décisions et à leurs applications.

Pour y arriver, la laïcité doit se penser dans la logique de la sphère civique, en dehors de la sphère privée et de la sphère publique. Il faut la penser à cet endroit où le rapport entre l’individuel et le multiple passe obligatoirement par l’État. Donc, par le fait même, elle trouve exclusivement sa légitimité dans l’espace défini par là où elle s’applique, c’est-à-dire dans l’espace de la citoyenneté. Il s’agit de cet espace où l’individu s’efface pour laisser la place au citoyen. Ce citoyen qui a tout à fait droit à la neutralité de l’État dans cet espace, ce qu’implique la laïcité comme prérequis pour la liberté de conscience. Tout comme ce citoyen y a la liberté d’expression de ses convictions (religieuses ou autres), pour le peu qu’il n’y tienne pas un rôle d’autorité pour l’État (et même seulement un rôle de représentant, sans ou avec peu d’autorité).

Un argument circulaire

Donc, pour l’expliciter plus amplement, j’ai concocté une forme d’argument, avec une base commune de deux prémisses indiquant ce qui relève du domaine public et du domaine privé, où il est possible d’arriver à deux conclusions contradictoires. Soit que la laïcité permet seulement le maintien du crucifix à l’Assemblée nationale. Ou soit qu’elle permet seulement la liberté, pour tous les employés de l’État, de porter des signes religieux.

Avant de présenter cette forme d’argument, il faut que je spécifie un point important. Ce que j’avance ici est basé sur mon expérience et sur ma compréhension du corpus argumentaire des deux camps en présence, depuis plusieurs années, sinon presque une décennie. Elle ne pourrait donc pas être réduite à une réaction devant les raisons d’aboutir à ces arguments. Que ce soit la défense de la liberté d’expression, du droit aux convictions religieuses, de l’importance de l’histoire, de l’identité, du patrimoine, de l’égalité homme-femme, etc.

Alors, si on arrive tout de même à ne voir cet exercice que comme une simplification malhonnête de ces deux positions, on pourrait arguer que j’ai construit un homme de paille. Mais je suis disposé à relever le défi de ramener la plupart des arguments que l’on pourrait me présenter à cet antagonisme public/privé, ce qui d’autant rajouterait du coffre à ce qui va suivre…

Voici la base commune :

  • L’Assemblée nationale relève de l‘État, qui est laïc, et fait partie du domaine public.
  • Les agents de l’État, qui sont des personnes, ne font pas partie du domaine public, mais du domaine privé.

Ce qui donne comme conclusion, pour le maintien du crucifix :

  • Donc, puisque seuls les agents de l’État peuvent représenter consciemment et corporellement la laïcité, elle ne devrait pas pouvoir s’appliquer pour ce qui est du crucifix à l’Assemblée nationale, qui est un bien public.

Et la conclusion, pour la liberté du port des signes religieux :

  • Donc, puisque seule l’Assemblée nationale peut représenter la laïcité via le domaine public, elle ne devrait pas pouvoir s’appliquer pour ce qui est des signes religieux portés par des personnes, qui ont des consciences et des corps privés.

La dynamique d’exclusion

Comme vous l’avez assurément remarqué, le point de différence se trouve dans une négation partielle du principe de laïcité, tel qu’exposé au début du présent texte. Donc, pour chacun des cas, l’impératif de neutralité représentative est repoussé vers le domaine que l’autre idéologie considère comme important à libérer de cet impératif.

Et si j’ai réussi à concocter cet argument ambivalent et qu’il se tient tout autant d’un côté comme de l’autre, c’est que ces deux domaines sont bien évidemment, pour des raisons totalement contraires, étrangers à la laïcité. Ils ne font qu’y ajouter une dynamique d’exclusion : l’un exclut seulement le port des signes religieux sur soi, l’autre exclut seulement la légitimité de vouloir garder un crucifix sur un mur. Alors qu’en regard de la laïcité, selon que l’on voit le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein, tout est exclu ou rien n’est exclu, étant donné que par son principe la laïcité transcende l’exclusion ou l’inclusion pour s’arrimer au respect des convictions de tous.

Mais même si cet antagonisme public/privé peut être inconscient – alors qu’il joue évidemment un rôle de catalyseur pour détourner le débat de ce qu’implique vraiment la laïcité -, il a une double utilité pour ces idéologies. Premièrement, de concéder que l’interdiction du fait représentatif religieux se défend : ce qui permet logiquement de se proclamer pour une laïcité qui prend au sérieux la neutralité représentative. Et deuxièmement de protéger ce qu’il y a à défendre, de son propre côté idéologique. Sauf que le problème essentiel avec cette logique, c’est qu’elle repose sur une instrumentalisation de la laïcité à des fins idéologiques et non pas sur la logique civique, la citoyenneté.

La logique civique

Bien franchement, ce qui relève du domaine public ou du domaine privé a tellement peu à voir avec la laïcité que de s’en servir pour appuyer son argumentaire démontre une flagrante méconnaissance, et de la définition de la laïcité, et de son utilité. Que d’un côté on se targue d’être pour une laïcité « ouverte » ou que de l’autre on se défende d’être pour une « catholaïcité », il reste que les deux positions sont contradictoirement incompatibles avec la laïcité. Enfin celle qui se déploie seulement pour les droits liés à la citoyenneté dans la sphère civique, contre ce qui y est étranger, la religion, qu’elle prenne la légitimité du patrimoine ou de la liberté d’expression.

Et il n’est même pas question ici d’être contre le fait de défendre le patrimoine historique ni de défendre la liberté d’expression religieuse. La position défendue ici n’en est aucunement incompatible, à la condition de la comprendre dans la logique de la sphère civique. Personnellement, si je peux me donner en exemple, il m’arrive à l’occasion de les défendre tous les deux. Le problème, c’est de le faire là où cela n’a pas lieu d’être, donc concernant l’espace civique. Il y a toute la place disponible pour que se manifestent ce patrimoine et cette liberté religieuse dans l’espace public. Et cet espace est amplement capable de satisfaire le besoin de représentativité des gens plus conservateurs comme des plus progressistes. Ainsi que les droits et libertés.

Que cela vous plaise ou non, l’espace civique nous appartient collectivement encore plus que l’espace public. Il ne devrait donc pas nous être volé par la religion… Que ce soit via la peur maladive de disparaître culturellement et religieusement comme peuple fondateur, avec le déplacement d’un crucifix dans une autre pièce plus propice. Ou alors, que ce soit via la peur maladive de disparaître collectivement comme peuple accueillant, parce que selon certains l’officialisation d’une règle interdisant les signes religieux pendant les heures de travail nous salirait « xénophobiquement »…

Réaligner l’argumentation laïque

J’ai parlé à un ami de la rédaction de ce texte, alors que je ne savais pas trop son opinion sur le sujet de la laïcité. Il m’a pointé un élément de réflexion intéressant que je développerai pour conclure. Et c’est celui du fait que le sujet du crucifix est considéré comme secondaire pour certains, puisque le débat actuel, on le sait, a pour origine une réaction devant le signe religieux le plus évident et le plus choquant pour la société québécoise, soit le voile islamique. Et même que le but d’instaurer une laïcité plus stricte en ce qui a trait aux signes religieux va pour certains jusqu’à contrer l’islamisme qui serait, et seulement, derrière le port de plus en plus répandu du voile, ici comme ailleurs. Soit.

Le problème, c’est qu’en abandonnant pour ces raisons l’argumentaire strictement aligné à l’essence de la laïcité, on donne des munitions à ces deux camps qui minent le débat. Ainsi, il devient impossible de ne pas se trouver d’un côté ou de l’autre ou même des deux côtés à la fois quand arrivent les attaques, alors qu’elles dénaturent même les arguments les plus rationnels. La simple réalité que ce débat est l’effet d’une évolution de l’immigration devient la réalité que le Québec est raciste. Donc, tout le reste en découle. Alors, il est plutôt normal que de dire ouvertement que la démarche laïque actuelle a pour but de régler un problème avec l’immigration islamique braque beaucoup de gens au point de donner comme résultat un débat interminable.

Oui la démarche de laïcité est en réaction au contexte. Et c’est toujours le cas, comme n’importe quelle solution. Tout comme elle était une réaction à la base quand nous avons sorti partiellement l’Église catholique de l’État. Tout comme elle le serait si cette Église ou une autre avait réussi à s’y réinsérer d’une manière ou d’une autre.

Donc, en se réalignant sur un argumentaire strictement laïc, et donc équitable, on réussirait peut être à faire entendre raison à ceux qui ne voient dans ce débat que le possible aboutissent d’une injustice envers des individus et des collectivités, faisant partie de la majorité ou des minorités, selon leurs sensibilités et leurs attachements propres.

Citoyens ensembles avec la laïcité, ensembles en dehors de nos contradictions.


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